– Œuvre vidéo – Rock Piece – De l’artiste asinnajaq

 - 

Née à Inukjuak, asinnajaq a grandi à Montréal. En 2015, elle a obtenu son baccalauréat en arts visuels du Nova Scotia College of Art and Design. Lauréate de l’un des prix REVEAL en art autochtone de la Fondation Hnatyshyn (2017) et du prix Technicolour Clyde Gilmour de la Toronto Film Critics Association (2018), elle a présenté son travail vidéo à la Winnipeg Art Gallery, à la Galerie Leonard & Bina Ellen de l’Université Concordia et à la Fondation Esker, à Calgary, entre autres lieux. Membre de l’équipe commissariale du pavillon du Canada à la Biennale de Venise 2019, elle compte parmi les quatre commissaires de l’exposition inaugurale de l’Inuit Art Centre, à Winnipeg.

La genèse de la vidéo numérique Rock Piece (2018) remonte à 2014. Alors qu’elle est étudiante en arts visuels au Nova Scotia College of Art and Design, elle marche sur le rivage d’Halifax avec une amie et la famille de celle-ci. À tour de rôle, ses compagnons et elle ont été doucement recouverts de pierres, ils en ont ressenti l’énergie, puis s’en sont libérés. Marquée par la sensation de bien-être que lui a procuré cette expérience, elle a écrit un protocole – ‘Feel the Weight of the World; Free Yourself’ – inspiré des instructions de l’artiste conceptuelle Yoko Ono, soit une action à réaliser par quiconque le souhaite. En 2018, lors d’une résidence en Nouvelle-Zélande, elle a répété et filmé la performance sur les rives d’Ahuriri (Napier) : on y voit un monticule de roches qui bouge légèrement. Un galet tombe, puis un autre, révélant le corps d’asinnajaq. Cette dernière se soulève sur ses genoux, puis se tourne vers la caméra avant de s’étendre à nouveau, tandis que les pierres la recouvrent.

Au départ, asinnajaq visait à être attentive aux gestes posés et à goûter la quiétude du moment, mais aussi à s’immerger au plus près de la nature; chaque fois qu’une lourde pierre était placée sur elle, elle réfléchissait à ce qui la minait pour finalement lâcher prise. Aujourd’hui, cette performance revêt une plus grande signification à ses yeux, car elle connaît beaucoup mieux la culture inuite depuis qu’elle a consulté les archives de l’Office national du film du Canada [1]. Elle parle maintenant d’être ensevelie, invisible, puis de renaître, ou encore de subir et de surmonter les impacts néfastes de l’assimilation.

Tout en exprimant un profond attachement à la terre (Nuna), l’artiste signe en effet une œuvre poétique sur la résilience (Pimmariktuq) des Inuit et la vitalité de leur culture. Riposte à l’effacement colonial, son acte discret affirme une présence et une identité qui perdureront. L’instant où elle émerge et plonge son regard dans celui du spectateur est en cela évocateur : elle fait voler en éclats l’image d’une « race en voie de disparition » transmise par les photographies documentaires du siècle dernier, ou encore celle de victime passive véhiculée par les médias actuels; son corps impliquant à la fois vulnérabilité et puissance d’agir, elle se représente comme sujet. On croirait l’entendre dire : « Je suis Inuk et je suis (toujours) ici ».

Et si l’œuvre d’asinnajaq invitait les Qallunaat (non Inuits) à être bienveillants à l’égard de l’environnement et des peuples inuits, lesquels demeurent méconnus et marginalisés ?

[1] Certains films de l’ONF rendent compte d’un rite funéraire pratiqué avant l’arrivée du christianisme, en 1860 : le corps du défunt était alors posé sur le sol et recouvert d’un monceau de pierres pour le protéger des animaux.